jeudi 10 décembre 2009

18.

On reconnaît un luth qui n'a pas joué depuis quelques temps à sa voix un peu nasale, aiguë, insatisfaisante, restant à la surface du son. Un luth qui vient d'être accordé, cela crie un peu. Comme s'il était devenu intolérant au contact : se recroquevillant sous les doigts, tendu d'appréhension. Un peu pincé. Nous ne sommes plus si intimes.
Travailler le son, jour après jour, pas seulement mes mouvements, mais aussi ses réponses, le jouer pour que la réponse soit détendue, généreuse, accueillante, lentement le rassurer pour que sa voix se fasse plus grave et plus profonde, pour qu'il se donne à nouveau tout entier en rondes vibrations, c'est un peu comme tenir dans ses mains un morceau d'ambre, que l'on enveloppe doucement de ses paumes pour le chauffer doucement - sa couleur change, sa surface semble plus douce, et enfin il restitue autant de chaleur qu'on lui a communiqué.
Jour après jour, mon luth emmagasine du rayonnement infra-rouge.

3 commentaires:

Roman Age a dit…

L'impression que l'on ressent en faisant sonner un instrument fait partie intégrante de l'expérience de musicien, indépendante des notes jouées et du plaisir que le morceau serait susceptible de nous proccurer dans l'absolu. Certains jours c'est d'un beauté inattendue.
C'est comme une relation dans laquelle chacun a son influence sur les émotions de l'autre, l'instrument et le musicien, et je reconnais que c'est assez étrange. D'un point de vue scientifique, je me demande quand-même dans quelle mesure le son de l'instrument peut vraiment varier, et qu'est ce qui reste justement du domaine de l'impression (ce qui est tout aussi valable, là n'est pas la question). La température certainement. Mais pour le reste?

Et est-ce vrai que le musicien peut réellement façonner le son de son instrument, avec le temps, par sa façon de jouer, comme on le dit pour un violon?

Pr. Dragon a dit…

Je suppose que ça dépend des instruments. Pour le piano, je n'ai jamais remarqué (même si un piano pas joué et/ou stocké dans un endroit poussiéreux, humide, non chauffé, a quand même un vieux son de bastringue au bout de quelques temps... Mais ça c'est autre chose), mais pour les instruments légers en bois, style guitare et a fortiori luth, dont le bois est vraiment très très fin, c'est flagrant.
On considère qu'il faut près de dix ans à l'instrument pour donner sa pleine mesure ; sans aller jusque là, on entend clairement le son s'ouvrir pendant les premiers mois, où il faut le jouer souvent (j'ai constaté ça avec Le Rouge). Et il y a aussi une nette différence entre un instrument souvent joué, dont le son est plus rond, profond et chaud, et un instrument laissé de côté pendant des mois, qui sera plus sec, plus métallique, vibrant moins longtemps. sans doute une question de souplesse du bois, qui peut s'acquérir ou se perdre : tout ça, c'est très physique !
Quant à savoir si l'instrument peut bien ou mal vieillir selon l'instrumentiste... C'est un autre pb. Pour les guitares électriques, la manière de jouer donne clairement une personalité en fonction de l'usure différenciée des micros ; pour les instruments accoustiques je n'en jurerais pas... Mais on peut imaginer qu'un jeu plus vibrant fait mieux travailler l'instrument qu'un jeu plus sec, par exemple. Je crois que ce qui joue surtout, là, c'est la manière d'en jouer sur le moment... En modifiant le geste, on obtient des sons extrêmement différents, mais c'est le geste qui est là en cause et non les facultés de l'instrument.
Ce que tu dis est vrai, je ne suis pas certaine que certaines nuances puissent être saisies par un auditeur extérieur - mais quand on joue soi-même, on est vraiment au plus près du son, c'est une audition d'une nature très différente de celle du simple auditeur puisqu'on peut être attentif à ses propres gestes, à la manière dont une podification ténue de la position ou de la vitesse d'exécution changent la manière qu'a la corde de vibrer...

Roman Age a dit…

Je pense que tout cela est vrai, mais jusqu'à un certain point seulement, et qu'il faut aussi considérer l'impression subjective du musicien, qui peut varier en fonction de son état d'esprit, de ses émotions sur le moment, et qui modifiera aussi la façon dont il perçoit le son.