vendredi 1 janvier 2010

Moby Dick

Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté. J’y répondrai, bien sûr, j’apporterai ma part, j’enchérirai, et ce sera une agréable soirée ; mais sur telle chose qui, au détour d’une conversation, par accident affleure, n’insistons pas. Ne me demandez pas. Car j’y répondrais aussi, un bien mince aiguillon me suffirait pour d’un coup épancher mon cœur, et installer un malaise durable. Gardons toutes choses gaies et légères. C’est très laid, ce que j’ai là, juste sous la peau, prêt à jaillir, que j’aimerais tant confier, que je saisirais n’importe quel prétexte pour confier, qu’il ne faut pas me tenter de confier, non il ne le faut pas. Je ne demande qu’à en parler mais vous regretteriez. Car je ne vous ferais pas simplement partager mon malaise. Ce qui m’est arrivé vous serait également insupportable. Vous pourriez avoir, et ce serait le plus pénible, envie d’y changer quelque chose. Mais vous n’y pouvez rien changer. Cela s’est passé il y a si longtemps. C’est un monstre qui remonte de telles profondeurs pour nous engloutir dans sa blanche tristesse. Vous apprenez à l’instant seulement ce qui jadis s’est passé, et c’est alors pour vous comme si cela venait d’avoir lieu, comme si l’on pouvait se battre contre une telle injustice. Mais cette guerre a été perdue il y a longtemps déjà. Vous hurlez d’impuissance de ce combat manqué. Vous vous exclamez comme si l’on pouvait encore refuser, comme si la force de votre refus pouvait changer quelque chose au passé, « Mais ce n’est pas possible ! », mais ce n’est pas possible. Cela est, et nul n’a plus le choix. De vos cris, de vos refus, vous ne me faites que souffrir un peu plus. Que l’on ne me secoue pas, c’est si douloureux. Je ne peux pas ne pas vous faire ce mal qu’est la connaissance de mon mal, si vous me forcez à vous le dire. Je ne pourrai plus jamais vous dire que tout va bien, et il n’est pas en votre pouvoir de réparer ce qui a été fait, de toute votre bonne volonté. Il n’y aurait pas de retour en arrière. Je ne peux pas ne pas avoir vécu ce que j’ai vécu.
Je ne peux que le taire.
Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté.

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