samedi 10 avril 2010

26.

J'ai grandi avec un père qui hurlait lorsque je toussais.
Je toussais souvent.
Il hurlait comme pour me faire rentrer mes petites maladies d'enfant dans la gorge.
Comme si cela lui faisait plus mal qu'à moi, comme si je faisais cela pour l'agacer, comme si mes bronchites, bronchiolites, angines, trachéites, pharyngites avaient été des entités capricieuses susceptibles de reculer devant sa colère.
Elles, non.
Moi, oui.
J'ai appris à tout faire en silence.
Avaler de l'air pour bloquer les toux d'irritation. Et puis tout le reste. Tourner les pages d'un livre sans les faire crisser. Marcher sans faire grincer le plancher. Jouer presque immobile sur un tapis épais. Enfant sans reproche, incolore. Surtout ne pas attirer l'attention.
Le piano, c'était atroce. Beaucoup trop sonore. Impossible de jouer sans être entendue. Au premier son, il accourait, se plantait derrière moi, se penchait par-dessus ma tête, me forçant à jouer toute courbée, m'infligeant ses sales bruits de salive et son odeur de sueur aigre, jouant à ma place, me coulant du béton dans la tête, pendant des heures.
J'ai ravalé tous les sons. Tout retenu à l'intérieur.
Parfois à s'agiter trop nombreux ils m'irritent la gorge, alors je tousse. J'avale de l'air. Je ne tousse plus.
Je ne me plains pas.
Je suis si réservée. D'un tempérament égal.
Je crie rarement. J'élève à peine la voix.
Je joue du luth.
J'aimerais apprendre à chanter plus fort. Je n'ose pas, crainte que l'on m'entende. Il faudrait ouvrir la bouche. Laisser sortir. S'aventurer à l'extérieur. Perdre le contrôle. Cela me fait si peur.
Qui sait ce qui pourrait arriver.

2 commentaires:

studio des nuages a dit…

Moi je n'aime pas que l'on crie. Mon père aussi avait cette manie, mais pas pour les mêmes raisons. Une jeune fille de ma famille, même âge que moi, passait souvent quelques jours chez nous. Quand mon père criait, elle avait peur; moi cela me serrait le coeur ! Oui je n'aime pas que l'on crie; et chanter après ça cela n'est pas facile, mais il faut oser ! Demandez à votre luth, il vous le dira. . .

Jean Jacques

Giusepe a dit…

Vous êtes réservée, vous criez rarement... et vous jouez du luth.

Cela me rappelle... au conservatoire, dans le temps, c'était un jeux de vérifier si les traits de caractère que l'on associe souvent aux instrumentistes correspondaient ou non à une personne donnée.

Ce violoniste est-il prétentieux ?
Cet organiste est-il dans la lune ?
Cet altiste est-il discret ?
Ce tromboniste est-il gouailleur ?
Ce clarinettiste est-il bonne pâte ?
etc...

Parfois ça marche, et parfois ça ne marche pas.

Si un jour, je croise une jeune fille réservée jouant du luth, je penserai à vous !

(Pardonnez-moi de ne réagir que sur la périphérie de votre texte, même si le fond me touche, il vous appartient, et je ne saurais qu'y ajouter de la maladresse.

"je vous apporte, pour seul présent, de la gaieté")