lundi 26 avril 2010

27.

Je joue du luth sans regarder mes doigts.
C'est nouveau.
Pas que je les regardasse tant, mais me forcer à rompre absolument ce lien entre l'oeil et le mouvement qui me servait de corde d'assurance à laquelle me raccrocher lors de mes hésitations, oui. Essayer de me guider par la sensation du mouvement, la perception des écarts, plutôt que par la reconnaissance visuelle si problématique des cordes - 24 cordes en plongée !
Mes mains se guident avec une sûreté étonnante. Pas parfaite, loin de là, mais qui m'étonne néanmoins. Comme lorsque je me rends compte que, sans le savoir, je tape sans regarder le clavier. Trois ans d'intimité déjà, elles se sont peu à peu imprégnées de la forme de l'instrument.
Mon pas est encore hésitant.
Mais c'est une certitude, jouer sans regarder ses doigts, c'est beaucoup mieux.
D'abord parce que si l'on n'a pas à pencher le luth vers le haut pour le regarder, on améliore sa position. Au lieu de se recroqueviller sur son nombril-rosace, l'ouvrir comme un oeil vers le monde, là-bas, qui nous écoute, pour l'instant en la personne d'un bienveillant mur blanc.
Ensuite parce que le contact passe mieux de l'ouïe au toucher si l'on supprime un intermédiaire.
Je joue du luth en aveugle.
Nombreuses fausses notes.
Mais dans le noir, on entend mieux les sons.

4 commentaires:

studio des nuages a dit…

À Julie Du Luth,

J'aime beaucoup ces deux images dans votre texte : « nombril-rosace » et « l'ouvrir comme un oeil sur le monde », surtout la première !

Mais pourquoi dites-vous alors plus loin : « Je joue du luth en aveugle » ?

Quand j'étais plus jeune je m'exerçais souvent à jouer dans le noir pour justement ne pas être esclave du contrôle visuel et pour mieux m'entendre.

24 cordes, c'est donc un luth baroque, bravo c'est un instrument magnifique ! Je vais en avoir un en octobre prochain. . .

Jean Jacques

Julie du Luth a dit…

Jouer en aveugle, oui, car j'accepte de me reposer sur un autre oeil que le mien, celui du luth, comme l'aveugle doit souvent faire confiance aux yeux d'un guide et à sa voix qui transmet ce que voit ce regard.

studio des nuages a dit…

Je jouais avec l'image de l'oeil tout en vous taquinant sans méchanceté !

Cet « oeil » me rappelle quelque chose : celui de Polyphème le cyclope ! Frederico Garcia Lorca dans son poème dédié à la guitare (Adivinanza de la guitarra) l'évoque : Un Polifemo de ojo. Le compositeur Anglais Reginald Smith Brindle en a fait une oeuvre pour guitare : El Polifemo de Oro.

De la guitare au luth le chemin n'est pas long et ces deux là se croisent et se parlent depuis des siècles ! L'oeil unique, les demoiselles dansantes, l'or de tout cela. . .

Voyez où peuvent vous conduire les images !

Jean Jacques

studio des nuages a dit…

Il faut lire " Un Polifeme de oro " et non pas " Un Polifemo de ojo " dans la phrase dédiée à Garcia Lorca. Désolé !

Jean Jacques