mardi 27 janvier 2009

9.

Je joue du luth.
Pendant quinze jours, tous les quinze jours. A peine plus.
A chaque fois que je transporte mon luth, il me faut une semaine, souvent plus, pour ensuite parvenir à le rouvrir. Comme si chaque voyage terminait quelque chose. Je le repose là où il dort, et je n'y reviens plus. Pendant une semaine. Ou plus. Comme si le fait d'avoir fermé sur lui les solides fermoirs de l'étui, ceux que je ne ferme que pour le transporter, en rendait l'accès plus difficile ensuite. J'ai bien essayé de les ouvrir sitôt le retour. C'était il y a plus d'une semaine. Peine perdue.
Comme si le transport était un dérangement dans nos relations. Il me faut retourner vers lui comme après une longe absence, le réaprivoiser, retrouver un rythme. Une fois le pas franchi, je le rejoue régulièrement. Pendant deux, trois semaines. Puis vient le jour de ma leçon de luth, à nouveau je l'emporte avec moi, le ramène, le repose, l'oublie. Et il lui faudra des jours pour remonter à la surface de ma mémoire - à la surface de mon envie.
Comme ce soir, où je vais rouvrir l'étui de mon luth. J'ai hâte.

dimanche 18 janvier 2009

8.

Je joue du luth.
C'est assez encombrant.
L'étui de forme bizarroïde m'arrive à la taille et a la corpulence d'un enfant, la souplesse en moins.
Pourtant son allure intrigante m'attire régulièrement des manifestations de sympathies auxquelles je ne sais jamais trop comment réagir. (Mode méfiant) "Qu'est-ce que c'est ? - Un tuba." (Mode pédant) "Qu'est-ce que c'est ? - C'est un luth, un luth baroque." (Mode rougissant) "Qu'est-ce que c'est ? - Un luth. - Vous en jouez ? Vous êtes professionnelle ? - Oh, non... - C'est pas grave, ça va venir !" car oui, il est inscrit sur mon visage que je suis destinée à devenir une grande concertiste.
Mais pas seulement. Ainsi en montant dans un wagon mon luth et moi croisons-nous souvent quelques regards exaspérés qui se transforment en expressions de soulagements dès que leurs auteurs se rendent compte que non, nous n'allons pas leur jouer un medley de folklore parisien avant de passer parmi eux merci.
Voire quelques attitudes franchement agressives, comme cette dame qui persistait à clamer qu'"il allait pas prendre deux places, le violon". Il n'a pas réagi, évidemment. Ce n'était pas bien malin de s'adresser à lui comme ça. D'abord il n'a pas d'oreilles. En aurait-il eu, il n'a pas de petites pattes. En aurait-il eu, je doute qu'il se soit reconnu dans une apostrophe aussi cavalière.
Mon luth a sa fierté.
Non, finalement, l'attitude que je préfère est peut-être encore celle des passants qui, apercevant la silhouette singulière, s'exclament : "Oh ! Une grande chaussure !"

mardi 6 janvier 2009

7.

Je joue du luth.
Il me faut régulièrement changer de position. Elle ne m'est pas encore vraiment naturelle.
Aujourd'hui en jouant j'ai voulu rallonger un peu la longueur de la bandoulière, que je trouvais serrée. Elle me meurtrissait l'épaule et entravait mes mouvements. Aussitôt le luth s'est mis à chanter d'une voix incroyable, vibrante, des accents d'une profondeur extraordinaire, comme si quelque chose en lui avait été libéré.
Je me suis rendu compte que je ne l'avais pas entendu si bien sonner depuis des semaines. C'était un vrai plaisir de le jouer, l'envie n'en pouvait s'éteindre.
Quelle idiote. Je ne sais pas depuis combien de temps ainsi j'étranglais mon luth.

lundi 5 janvier 2009

6.

Je joue du luth.
Pendant ce temps, mon ordinateur s'épouille soigneusement dans un coin de la pièce.
Après plusieurs heures de recherche, voilà qu'il a trouvé pas moins de six parasites divers dans son organisme. En les supprimant un à un, je les examine.
Curieux, l'un d'eux est un vers destiné à voler les paramètres utilisateurs d'un MMPORG dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
Curieux. Je ne joue à aucun MMPORG.
Je joue du luth.