dimanche 12 décembre 2010

Cheveux blonds, idées courtes

Ce matin au sortir d'un rêve troublant je pleurais encore un peu en pensant à ta mort. Car c'était toi en rêve, à n'en pas douter, sous d'autres traits mais tellement reconnaissable.
Un peu plus tard, à propos d'un rien, je croise mon sourire dans une glace.
Un sourire inhabituel. Pas celui que je me donne lorsque je suis face au miroir, mais celui que je ne vois jamais, le sourire pour les autres, surpris à la dérobée. Un sourire spontané qui m'est étrange. Pourquoi si séduisant ?
Et c'était ton sourire, là, dans le miroir, avec les yeux encore un peu triste. Un autre visage, mais ton sourire.
Nous ne nous ressemblons pas tant que ça. Nous sommes de la même famille.
Je n'aurais pas pensé avoir le même sourire que toi. C'est vrai.
Mais cela ne te fait pas revivre, ni survivre à travers moi, hélas, tellement pas revivre.

dimanche 21 novembre 2010

Charmant

Tu étais simplement charmant, mais ce n'est pourtant ni ton sourire, ni tes mots, ni ton doux visage qui m'attachèrent à toi. Oh, sans le vouloir, certainement, avec la plus grande innocence - et ce fut là tout ton art - tu as touché la corde la plus sensible, celle qui m'attirerait irrépressiblement. Nous nous connaissions à peine.
Tu m'as fait honte.

samedi 20 novembre 2010

Nuit, gravement

Ce soir, lorsque tu t'es glissé sous les draps auprès de moi. M'est revenue la sensation de ton genou touchant ma jambe pendant la nuit précédente, et le réconfort de ce contact. Et elle était encore si précise, cette sensation, que c'était comme si cela venait de se passer, comme si je n'avais pas quitté cette position couchée sur le côté, sous les draps, à demi endormie, à sentir de loin en loin ton corps velouté vivre à côté de moi.
Comme si la journée de veille écoulée entre-temps s'était d'un coup escamotée.

A la toi

J'aimerais beaucoup, un jour, satisfaire tous tes fantasmes - car je sais que j'y suis, dans tes fantasmes - mais je sais aussi, hélas, avec certitude que dans tes fantasmes, je ne suis pas du tout moi.

jeudi 11 novembre 2010

29.

Et vous qui arrivez maintenant, vous lirez tout en sens inverse de celui où cela a été écrit.
Non que l'écoulement du temps ait une telle importance. C'est une basse continue, sourde et cyclique.
Mais c'est une idée étrange à penser. Vous remonterez les mots comme vers leur source.

mercredi 10 novembre 2010

Entre les pages

Cela fait si longtemps que je suis guérie de vous.
Aujourd'hui j'ai relu une lettre. Non une lettre de vous. Une lettre de moi. Jamais elle ne tomba sous vos yeux ; ni sous ceux de quiconque. Enfin je l'espère.
J'ai relu cette lettre, elle était cachée entre les pages d'un livre, non comme chez Edgard Poe, qui se serait contenté d'en faire un marque-page : je ne suis pas assez confiante, la lettre était scellée à l'intérieur de la couverture, que j'ai dû déchirer un peu pour récupérer la lettre.
Je l'avais scellée comme un talisman pour qu'elle ne soit jamais lue. Mais aujourd'hui je l'ai rompu, non parce que c'était important, mais précisément parce que d'importance cela n'en a plus ; plus du tout. Et ces mots et ces sentiments que je pensais gravés si profondément en moi que je n'aurais plus jamais besoin de les relire, aujourd'hui je les ai si totalement oubliés que c'est avec curiosité que je découpe l'enveloppe. Je ne sais plus du tout ce que je vais trouver. Le ventre qui se noue pourtant en déchirant avec fébrilité, pas très proprement, le papier qui l'enclot. Je crains la honte et mes gémissements passés.
Mais non. La lettre est plutôt gaie, vive et rapide malgré la longueur de mes épanchements. Elle me plait encore. Elle exprime avec précision des sentiments d'une grande sincérité.
Cette lettre a six ans, presque jour pour jour.
Presque jour pour jour cela fait cinq ans que se sont détruites à jamais toutes les illusions que j'y couvais.
Mon coeur a tant changé, et vous-même, je ne vois plus du tout en vous celui à qui j'écrivais alors.
Pourtant c'est un langage que je comprends toujours. Et toujours je trouve joli ce frais jardin de l'absolu délire où je me complaisais à languir.

mardi 25 mai 2010

Songe des routes

Dans l'eau bondissante je répands quelques feuilles bleues, rugueuses comme des langues de chats séchées.

Elles vont couler peu à peu comme feuilles d'automne au fond d'un étang.

Lorsque l'infusion est prête, je la laisse refroidir sans filtrer.

Lorsqu'elle est froide, je la laisse encore, je l'oublie dans un coin à l'ombre, qu'elle soit la plus tranquille.

Enfin je retombe dessus, comme par hasard, et alors je la bois.

Au fond du liquide rose m'attendent les feuilles de la sauge, et la poussière des chemins où elle fut cueillie. La sauge est songe de poussière.

Je ne boirais pas la dernière gorgée, pour n'avoir que le début de la saveur de longue route des grains terreux qui s'y soulèvent, et non leur sécheresse sur la langue.

La poussière attend au fond de l'étang.

jeudi 20 mai 2010

28.

Je joue du luth.

Ânonne en boucle ce même passage d'une pièce difficile où mes doigts, à l'aveugle, peinent encore à trouver leur place sans deux ou trois tâtonnement. Main gauche, main droite. Toujours l'une ou l'autre manque au rendez-vous au terme de cette petite phrase qui devrait être si gracieuse.

Et soudain, stupeur.

Dans mon rabâchage mécanique, quelque chose, de très loin, a chanté. Un son puissant et doux dans la voix haute. Inattendu. Je cherche à le reproduire. Le trouve. Le perds à nouveau. Cherche à quoi cela tient. L'angle des doigts, la partie de la pulpe qui touche la corde, l'intensité du mouvement. Et tout ceci en mille nuances innomables qui font la sensualité de cet instrument. Longuement je palpe mes chanterelles, cherchant à cerner ce qui a chanté.

Le mettre en flacon, si possible, pour une autre fois.

Je sais que c'est vain.

Ce soir, je n'ai pas trouvé l'ultime et définitive solution pour avoir à coup sûr un beau son.

Mais je sais qu'il existe, là, à portée de doigts, il m'attend.

lundi 26 avril 2010

27.

Je joue du luth sans regarder mes doigts.
C'est nouveau.
Pas que je les regardasse tant, mais me forcer à rompre absolument ce lien entre l'oeil et le mouvement qui me servait de corde d'assurance à laquelle me raccrocher lors de mes hésitations, oui. Essayer de me guider par la sensation du mouvement, la perception des écarts, plutôt que par la reconnaissance visuelle si problématique des cordes - 24 cordes en plongée !
Mes mains se guident avec une sûreté étonnante. Pas parfaite, loin de là, mais qui m'étonne néanmoins. Comme lorsque je me rends compte que, sans le savoir, je tape sans regarder le clavier. Trois ans d'intimité déjà, elles se sont peu à peu imprégnées de la forme de l'instrument.
Mon pas est encore hésitant.
Mais c'est une certitude, jouer sans regarder ses doigts, c'est beaucoup mieux.
D'abord parce que si l'on n'a pas à pencher le luth vers le haut pour le regarder, on améliore sa position. Au lieu de se recroqueviller sur son nombril-rosace, l'ouvrir comme un oeil vers le monde, là-bas, qui nous écoute, pour l'instant en la personne d'un bienveillant mur blanc.
Ensuite parce que le contact passe mieux de l'ouïe au toucher si l'on supprime un intermédiaire.
Je joue du luth en aveugle.
Nombreuses fausses notes.
Mais dans le noir, on entend mieux les sons.

samedi 10 avril 2010

26.

J'ai grandi avec un père qui hurlait lorsque je toussais.
Je toussais souvent.
Il hurlait comme pour me faire rentrer mes petites maladies d'enfant dans la gorge.
Comme si cela lui faisait plus mal qu'à moi, comme si je faisais cela pour l'agacer, comme si mes bronchites, bronchiolites, angines, trachéites, pharyngites avaient été des entités capricieuses susceptibles de reculer devant sa colère.
Elles, non.
Moi, oui.
J'ai appris à tout faire en silence.
Avaler de l'air pour bloquer les toux d'irritation. Et puis tout le reste. Tourner les pages d'un livre sans les faire crisser. Marcher sans faire grincer le plancher. Jouer presque immobile sur un tapis épais. Enfant sans reproche, incolore. Surtout ne pas attirer l'attention.
Le piano, c'était atroce. Beaucoup trop sonore. Impossible de jouer sans être entendue. Au premier son, il accourait, se plantait derrière moi, se penchait par-dessus ma tête, me forçant à jouer toute courbée, m'infligeant ses sales bruits de salive et son odeur de sueur aigre, jouant à ma place, me coulant du béton dans la tête, pendant des heures.
J'ai ravalé tous les sons. Tout retenu à l'intérieur.
Parfois à s'agiter trop nombreux ils m'irritent la gorge, alors je tousse. J'avale de l'air. Je ne tousse plus.
Je ne me plains pas.
Je suis si réservée. D'un tempérament égal.
Je crie rarement. J'élève à peine la voix.
Je joue du luth.
J'aimerais apprendre à chanter plus fort. Je n'ose pas, crainte que l'on m'entende. Il faudrait ouvrir la bouche. Laisser sortir. S'aventurer à l'extérieur. Perdre le contrôle. Cela me fait si peur.
Qui sait ce qui pourrait arriver.

mercredi 31 mars 2010

De l'autre côté du mur

Comme dans certains cauchemars, où l'on entend quelqu'un dire précisément ce que l'on craint d'entendre de sa bouche.
Quelque chose de surprenant. Quelque chose d'un peu monstrueux. Quelque chose de violent. Quelque chose qui vous atteint.
Quelque chose, vous le savez obscurément, qui révèle davantage sur ce que vous pensez de cette personne, ou de vous-même, que sur cette personne en réalité.
Au réveil, on est heureux de se rendre compte que ces paroles, on ne les a entendues qu'en rêve. On ferme la porte de cette réalité parallèle. Le sol est rassurant. Il ne s'y passe que des choses prévisibles. Chacun est ce qu'il est.
Seulement voilà, cette fois-ci, je ne me suis pas réveillée.
Je vis encore à l'intérieur du cauchemar.
Non pas parce que c'est affreux, mais parce que je n'arrive pas à me réveiller.
Je n'ai, ces jours-ci, pas plus de prise sur le réel que dans un rêve.

lundi 29 mars 2010

25.

Pas de luth ces jours-ci.
Cette idée qui me tourne en tête, obsédante, point mes entrailles, crispe mon front.
Quelque chose que j'ai appris récemment. Que je comprends fort bien. Qui n'a rien de choquant. Qui me plaît plutôt. Mais surprenant. Et qui jette un éclairage nouveau sur toutes ces dernières années et l'ensemble de mes relations avec vous.
Et soudain le monde me semble dangereux.
Toutes mes forces sont bandées, non pas contre cette vérité nouvelle, mais pour en palper les contours, la texture, les possibilités.
Je vis sur mes gardes, avec précautions.
Le sol sur lequel je marchais, je ne suis plus certaine que ce ne soit pas un plafond. Comme si j'étais déjà passée à travers. Comme si je les avais toujours confondus. Ma tête tourne.
Quelquefois en passant je caresse mon luth qui murmure timidement.
Pas assez d'espace en ce moment dans ma tête pour le faire résonner.
Je voudrais prendre une grande inspiration, m'emplir d'air sonnant, jouer du luth.

mercredi 17 mars 2010

24.

Je joue du luth et le but n'est pas tant la fin de la pièce que la recherche du beau son. Le but est le chemin, non son terme. Je joue du luth lentement, polissant chaque note.
Et ces temps-ci ce qui me travaille est la double contrainte de ma main droite - le pouce pour les basses, majeur, index, annulaire pour le chant. Il me faudrait jouer les basses avec décision, le pouce droit comme un morceau de bois, le chant avec émotion, les doigts souples comme un voile ondoyant. Raidir l'un, laisser flotter les autres.
Chacune de ces nécessités contamine l'autre.
J’œuvre à faire de ma main deux mains - ou une main faite de deux matières, l'une poreuse, l'autre non, comme les billes d’agate.

lundi 15 mars 2010

Les mots volés

C'est à peine un blog, ici.

Pas de catégories. Pas d'étiquettes. Pas de liens, pas de Facebook, de Twitter, d'icônes ludiques. A peine des commentaires. Je n'utilise que du bout des doigts les possibilités de l'outil.

Ces mots pourraient aussi bien être consignés dans les pages d'un petit carnet.

Mais curieusement ils sont plus sûrement anonymes ici, exposés à tous et au milieu de tous, que chez moi, cachés au fond d'un tiroir.

Nul ne viendra les chercher.

Comme au flanc d'une falaise battue de vent, que seuls les oiseaux de mer peuvent atteindre.

vendredi 12 mars 2010

23.

Chacun à présent s'interroge. Comment quelqu'un d'aussi gai a-t-il pu soudainement se tuer ?
Mais moi je sais. Ils auraient tous été si surpris.
Nul d'entre nous ne confie ses idées noires. Un bon fils, une bonne fille ne cause pas d'inquiétude à ses parents. Il ne laisse pas paraître ce qui le ronge. Comme le petit spartiate de l'histoire, il se laisse dévorer de l'intérieur, sans un cri.
Jusqu'au moment où la souffrance est trop grande pour la porter seul ; mais alors à qui la dire ? C'est quelque chose que nous n'avons jamais appris.
Il est tout seul à présent, et pour toujours.
Plus personne ne pourra jamais lui offrir une oreille compréhensive.
Je joue du luth.

jeudi 11 mars 2010

22.

Ce rythme m'obsède. Comment rompre la transmission ?
A la première génération, il y eut quatre filles, aucun garçon. La quatrième de ces maudites filles en subit une telle culpabilité qu'elle donna par la suite toujours raison aux garçons, jamais aux filles, et fut une mère froide, assujettie à un mari discrètement tyrannique.
A la seconde génération, deux filles, deux garçons.
Le dernier de ces enfants, un garçon, vint tardivement, alors qu'une sourde guerre minait ses parents. Sa mère reporta toute son affection sur lui.
Le dernier de ces enfants, mon oncle, s'est tranché les veines à la veille de la saint Valentin dernière.
C'était un homme généreux, drôle, intelligent, beau. Je n'aurais pas imaginé tant pleurer.
Il était aimé de tous, et à présent il est mort.

mercredi 10 février 2010

D'une plus grande lumière

Rue Malebranche à Paris, les beaux jours à certaines heures, les fenêtres des immeubles de la rive nord réfléchissent la lumière du soleil sur la façade des immeubles de la rive sud. Ces taches de lumière déformée ont une grâce particulièrement touchante.
Deux falaise se faisant face, l'une sombre, l'autre ornée de claires taches de rousseur. Je ne sais pas si je préférerais habiter ces immeubles du sud, qui sont si jolis lorsque leur façade s'anime ainsi de rayons, ou ceux du nord qui leur font face, pour pouvoir depuis leur dignité austère contempler les jeux de la lumière.
Ainsi lorsque je vois dans ton regard s'allumer cet éclat d'admiration dont je connais si bien la douce brûlure intérieure je me demande ce qui vaut mieux, d'être la source de la lumière ou l'oeil où elle se réfléchit.

lundi 1 février 2010

Il y a longtemps, la jeunesse

Mon arrière-grand-mère à dix-huit ans.

Bien sûr, je ne l’ai pas connue à cet âge-là, mais plutôt à quatre-vingt-dix-huit, peu avant sa mort, blanche, desséchée et voûtée, semblant une gentille souris.

Mais j’ai une photo d’elle à la peau lisse et pleine.

A dix-huit ans, elle me ressemblait beaucoup, à quelques traits près que je retrouve disséminés ailleurs dans la famille.

Une coiffure modeste dans l’atelier du photographe. Un maintien modeste aussi – mon arrière grand-mère à dix-huit ans ne se tenait pas très droite, malgré la pose intimidée.

Un front calme, un visage puissamment construit.

Elle a eu ma grand-mère, qui était sa quatrième fille, à un âge que je ne vais pas tarder à atteindre.

Comme c’est étrange – à dix-huit ans, elle ne ressemble pas à la jeune fille que j’étais à dix-huit ans. Elle ressemble à moi, près de trente.

vendredi 29 janvier 2010

21.

Certains accords sont particulièrement touchants.
Pour les notes nues, c'est autre chose.
Mais dernièrement j'ai eu un coup de foudre pour le La que l'on peut jouer avec le premier choeur. Je ne sais pas pourquoi. Simple, il est particulièrement beau.
Peut-être rencontre-t-il tout particulièrement la structure singulière de mon luth. Peut-être est-il construit pour ce son-là.
Mais j'y entends un cri d'une beauté déchirante et calme à la fois, prolongé vers d'incroyables profondeurs d'échos.
Pas la note la plus haute que je puisse jouer. Mais la plus lointaine, oui.

mardi 26 janvier 2010

20.

A toujours m'entendre parler de luth tu me demandes si je fais des concerts, tu t'imagines que je joue merveilleusement.
Tu serais fort déçu.
Je ne joue pas avec assez d'acharnement pour être une grande instrumentiste.
Je ne vis pas pour le luth.
Je vis pour le plaisir.
De la même manière que je joue du luth : pour le plaisir.

dimanche 17 janvier 2010

Sur les brisées

Tu m'avais parlé des traces de lapins que l'on voyait dans la neige alors j'ai eu envie d'y aller moi aussi. J'avais regretté de n'être pas là la veille, à pouvoir faire cette promenade avec toi, alors j'y suis retournée seule.
J'ai trouvé le coin de forêt, j'ai trouvé la neige qui n'y était plus pour longtemps, j'ai trouvé les petites traces des lapins si intéressantes, avec les pattes arrières en V et les pattes avant jointes, trois petits trous en triangle dans la neige, chaque série de trois à des distances incroyables de celle qui précède et de celle qui suit. Les lapins, on ne les voit jamais, mais leurs traces sont bondissantes.
Et puis il y avait d'autres traces. Qui m'ont fait un peu peur, ces traces de grands pieds dans ce coin de forêt solitaire. Quelqu'un était passé là. Je marchais juste derrière. Quelqu'un était peut-être encore là, juste en avant de moi ?
ça m'a frappé tout d'un coup. S'il n'y avait qu'une seule piste de pas depuis la dernière neige, c'étaient forcément les tiens. Je suivais tes pas de la veille, si remarquables avec leur grand soleil sous le talon. Je t'ai suivie souriante. J'ai remarqué l'endroit où tu t'es accroupi pour regarder de plus près les petites traces de lapins. Et celui parmi les hauts taillis de ronces où tu as tourné à gauche et non à droite. A cet endroit, un lapin aussi avait tourné. Vos pistes s'entremêlaient. Tu avais marché soigneusement à côté, laissant ses petites marques en triangle intactes dans la neige.
Pour tout cela aussi je t'aime.
C'était si joyeux, cette promenade avec toi.

mardi 12 janvier 2010

19.

Dernier avatar en date des aventures de l'étui de mon luth : ces deux gamins surexcités par la neige qui nous ont suivis pendant quelques centaines de mètres, en plein délire guerrier, persuadés que forcément, dans la "boîte à volon", il y avait autre chose qu'un violon. Bruits de mitraillette à l'appui.
Non, évidemment, il n'y a pas de violon dans la "boîte à violon".
Puisqu'il y a un luth.
Un luth, doux instrument à l'homophonie belliqueuse.

dimanche 10 janvier 2010

Votre parfum

L'antichambre se ressentait encore de votre parfum. Le reconnaissant je me pétrifiai de respect, ôtai mon manteau sans bruit, me recoiffai, pacifiai ma respiration, espérant maîtriser ma voix, recomposant mon for intérieur. Peu de mouvements, quelques frissons, craignant faire grincer le plancher. Je tremblais de vous rencontrer ainsi par hasard après de si longs mois sans se voir. Je tremblais de vous rencontrer, comme toujours. Mais dans la pièce suivante, personne : c'est en partant que vous aviez laissé ce souvenir odorant de vous flottant entre les parquets, les boiseries, les portes de l'antichambre.

vendredi 1 janvier 2010

Moby Dick

Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté. J’y répondrai, bien sûr, j’apporterai ma part, j’enchérirai, et ce sera une agréable soirée ; mais sur telle chose qui, au détour d’une conversation, par accident affleure, n’insistons pas. Ne me demandez pas. Car j’y répondrais aussi, un bien mince aiguillon me suffirait pour d’un coup épancher mon cœur, et installer un malaise durable. Gardons toutes choses gaies et légères. C’est très laid, ce que j’ai là, juste sous la peau, prêt à jaillir, que j’aimerais tant confier, que je saisirais n’importe quel prétexte pour confier, qu’il ne faut pas me tenter de confier, non il ne le faut pas. Je ne demande qu’à en parler mais vous regretteriez. Car je ne vous ferais pas simplement partager mon malaise. Ce qui m’est arrivé vous serait également insupportable. Vous pourriez avoir, et ce serait le plus pénible, envie d’y changer quelque chose. Mais vous n’y pouvez rien changer. Cela s’est passé il y a si longtemps. C’est un monstre qui remonte de telles profondeurs pour nous engloutir dans sa blanche tristesse. Vous apprenez à l’instant seulement ce qui jadis s’est passé, et c’est alors pour vous comme si cela venait d’avoir lieu, comme si l’on pouvait se battre contre une telle injustice. Mais cette guerre a été perdue il y a longtemps déjà. Vous hurlez d’impuissance de ce combat manqué. Vous vous exclamez comme si l’on pouvait encore refuser, comme si la force de votre refus pouvait changer quelque chose au passé, « Mais ce n’est pas possible ! », mais ce n’est pas possible. Cela est, et nul n’a plus le choix. De vos cris, de vos refus, vous ne me faites que souffrir un peu plus. Que l’on ne me secoue pas, c’est si douloureux. Je ne peux pas ne pas vous faire ce mal qu’est la connaissance de mon mal, si vous me forcez à vous le dire. Je ne pourrai plus jamais vous dire que tout va bien, et il n’est pas en votre pouvoir de réparer ce qui a été fait, de toute votre bonne volonté. Il n’y aurait pas de retour en arrière. Je ne peux pas ne pas avoir vécu ce que j’ai vécu.
Je ne peux que le taire.
Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté.