jeudi 3 mai 2012

Dans le silence des autres (1/2)

Je vais vendre mon luth.

A un autre, une autre je confierai le soin de lui faire dire de longs discours pleins d'éloquence. Le discours. L'articulation de la mélodie. Le discours articulé, lié, méticuleux, cherchant avec soin la signification exacte. Le luth est rhétorique classique. Pas de bavardage.

Lorsque j'ai envie de musique, j'ai envie d'entendre la musique. Pas de jouer. Si d'autres me donnent déjà des émotions, pourquoi vouloir à tout prix les reproduire ? Je me donne à votre musique.

Grands maîtres anciens, et vous inconnus du temps présent qui sans le savoir avez bâti mon cœur en cathédrales un soir dans un salon, et dont je tais le nom, pour respecter vos vies cachées.

Moi, lorsque je joue - je ne joue pas, je peine ; toute beauté étouffée derrière mes crampes, ma dure concentration, mes muscles endoloris. A peine une vibration parfois parvient à s'échapper de cet amas de pierre ; moins souvent encore puis-je la goûter. Cruel paradoxe, où si je dois faire naître une musique, c'est pour y être absente.

Chaque soir ou presque tu saisis ta guitare comme si elle t'était aussi nécessaire que l'eau, pour en verser des merveilles une demi-heure durant, et cela s'écoule si naturellement de toi, cette musique, c'est toi-même, elle parle ton langage. Près de toi je reste cachée, buvant ton monde.

Mais je parle le luth comme une langue étrangère - avec difficulté, et un accent raboteux.

Lorsque j'aime la musique, c'est toujours celle des autres. Leur musique est joie, tige, onde verte. La mienne est dur effort.

A un autre, à une autre je confierai le soin de rendre sa voix au luth.

mercredi 2 mai 2012

32.

Cette partition ouverte qui, de près, se montre veloutée de poussière.

Promesse de musique qui respire le silence.

Jadis je craignais souvent d'écraser mon luth - une chute, un faux-pas - et songeais que le bruit d'un luth qui se brise doit être le son le plus triste du monde.

Mais non : le son le plus triste, c'est celui qui l'habite, à présent, chaque minute de chaque heure, cette nuit des voix à laquelle je le voue.