mardi 25 mai 2010

Songe des routes

Dans l'eau bondissante je répands quelques feuilles bleues, rugueuses comme des langues de chats séchées.

Elles vont couler peu à peu comme feuilles d'automne au fond d'un étang.

Lorsque l'infusion est prête, je la laisse refroidir sans filtrer.

Lorsqu'elle est froide, je la laisse encore, je l'oublie dans un coin à l'ombre, qu'elle soit la plus tranquille.

Enfin je retombe dessus, comme par hasard, et alors je la bois.

Au fond du liquide rose m'attendent les feuilles de la sauge, et la poussière des chemins où elle fut cueillie. La sauge est songe de poussière.

Je ne boirais pas la dernière gorgée, pour n'avoir que le début de la saveur de longue route des grains terreux qui s'y soulèvent, et non leur sécheresse sur la langue.

La poussière attend au fond de l'étang.

jeudi 20 mai 2010

28.

Je joue du luth.

Ânonne en boucle ce même passage d'une pièce difficile où mes doigts, à l'aveugle, peinent encore à trouver leur place sans deux ou trois tâtonnement. Main gauche, main droite. Toujours l'une ou l'autre manque au rendez-vous au terme de cette petite phrase qui devrait être si gracieuse.

Et soudain, stupeur.

Dans mon rabâchage mécanique, quelque chose, de très loin, a chanté. Un son puissant et doux dans la voix haute. Inattendu. Je cherche à le reproduire. Le trouve. Le perds à nouveau. Cherche à quoi cela tient. L'angle des doigts, la partie de la pulpe qui touche la corde, l'intensité du mouvement. Et tout ceci en mille nuances innomables qui font la sensualité de cet instrument. Longuement je palpe mes chanterelles, cherchant à cerner ce qui a chanté.

Le mettre en flacon, si possible, pour une autre fois.

Je sais que c'est vain.

Ce soir, je n'ai pas trouvé l'ultime et définitive solution pour avoir à coup sûr un beau son.

Mais je sais qu'il existe, là, à portée de doigts, il m'attend.