vendredi 29 janvier 2010

21.

Certains accords sont particulièrement touchants.
Pour les notes nues, c'est autre chose.
Mais dernièrement j'ai eu un coup de foudre pour le La que l'on peut jouer avec le premier choeur. Je ne sais pas pourquoi. Simple, il est particulièrement beau.
Peut-être rencontre-t-il tout particulièrement la structure singulière de mon luth. Peut-être est-il construit pour ce son-là.
Mais j'y entends un cri d'une beauté déchirante et calme à la fois, prolongé vers d'incroyables profondeurs d'échos.
Pas la note la plus haute que je puisse jouer. Mais la plus lointaine, oui.

mardi 26 janvier 2010

20.

A toujours m'entendre parler de luth tu me demandes si je fais des concerts, tu t'imagines que je joue merveilleusement.
Tu serais fort déçu.
Je ne joue pas avec assez d'acharnement pour être une grande instrumentiste.
Je ne vis pas pour le luth.
Je vis pour le plaisir.
De la même manière que je joue du luth : pour le plaisir.

dimanche 17 janvier 2010

Sur les brisées

Tu m'avais parlé des traces de lapins que l'on voyait dans la neige alors j'ai eu envie d'y aller moi aussi. J'avais regretté de n'être pas là la veille, à pouvoir faire cette promenade avec toi, alors j'y suis retournée seule.
J'ai trouvé le coin de forêt, j'ai trouvé la neige qui n'y était plus pour longtemps, j'ai trouvé les petites traces des lapins si intéressantes, avec les pattes arrières en V et les pattes avant jointes, trois petits trous en triangle dans la neige, chaque série de trois à des distances incroyables de celle qui précède et de celle qui suit. Les lapins, on ne les voit jamais, mais leurs traces sont bondissantes.
Et puis il y avait d'autres traces. Qui m'ont fait un peu peur, ces traces de grands pieds dans ce coin de forêt solitaire. Quelqu'un était passé là. Je marchais juste derrière. Quelqu'un était peut-être encore là, juste en avant de moi ?
ça m'a frappé tout d'un coup. S'il n'y avait qu'une seule piste de pas depuis la dernière neige, c'étaient forcément les tiens. Je suivais tes pas de la veille, si remarquables avec leur grand soleil sous le talon. Je t'ai suivie souriante. J'ai remarqué l'endroit où tu t'es accroupi pour regarder de plus près les petites traces de lapins. Et celui parmi les hauts taillis de ronces où tu as tourné à gauche et non à droite. A cet endroit, un lapin aussi avait tourné. Vos pistes s'entremêlaient. Tu avais marché soigneusement à côté, laissant ses petites marques en triangle intactes dans la neige.
Pour tout cela aussi je t'aime.
C'était si joyeux, cette promenade avec toi.

mardi 12 janvier 2010

19.

Dernier avatar en date des aventures de l'étui de mon luth : ces deux gamins surexcités par la neige qui nous ont suivis pendant quelques centaines de mètres, en plein délire guerrier, persuadés que forcément, dans la "boîte à volon", il y avait autre chose qu'un violon. Bruits de mitraillette à l'appui.
Non, évidemment, il n'y a pas de violon dans la "boîte à violon".
Puisqu'il y a un luth.
Un luth, doux instrument à l'homophonie belliqueuse.

dimanche 10 janvier 2010

Votre parfum

L'antichambre se ressentait encore de votre parfum. Le reconnaissant je me pétrifiai de respect, ôtai mon manteau sans bruit, me recoiffai, pacifiai ma respiration, espérant maîtriser ma voix, recomposant mon for intérieur. Peu de mouvements, quelques frissons, craignant faire grincer le plancher. Je tremblais de vous rencontrer ainsi par hasard après de si longs mois sans se voir. Je tremblais de vous rencontrer, comme toujours. Mais dans la pièce suivante, personne : c'est en partant que vous aviez laissé ce souvenir odorant de vous flottant entre les parquets, les boiseries, les portes de l'antichambre.

vendredi 1 janvier 2010

Moby Dick

Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté. J’y répondrai, bien sûr, j’apporterai ma part, j’enchérirai, et ce sera une agréable soirée ; mais sur telle chose qui, au détour d’une conversation, par accident affleure, n’insistons pas. Ne me demandez pas. Car j’y répondrais aussi, un bien mince aiguillon me suffirait pour d’un coup épancher mon cœur, et installer un malaise durable. Gardons toutes choses gaies et légères. C’est très laid, ce que j’ai là, juste sous la peau, prêt à jaillir, que j’aimerais tant confier, que je saisirais n’importe quel prétexte pour confier, qu’il ne faut pas me tenter de confier, non il ne le faut pas. Je ne demande qu’à en parler mais vous regretteriez. Car je ne vous ferais pas simplement partager mon malaise. Ce qui m’est arrivé vous serait également insupportable. Vous pourriez avoir, et ce serait le plus pénible, envie d’y changer quelque chose. Mais vous n’y pouvez rien changer. Cela s’est passé il y a si longtemps. C’est un monstre qui remonte de telles profondeurs pour nous engloutir dans sa blanche tristesse. Vous apprenez à l’instant seulement ce qui jadis s’est passé, et c’est alors pour vous comme si cela venait d’avoir lieu, comme si l’on pouvait se battre contre une telle injustice. Mais cette guerre a été perdue il y a longtemps déjà. Vous hurlez d’impuissance de ce combat manqué. Vous vous exclamez comme si l’on pouvait encore refuser, comme si la force de votre refus pouvait changer quelque chose au passé, « Mais ce n’est pas possible ! », mais ce n’est pas possible. Cela est, et nul n’a plus le choix. De vos cris, de vos refus, vous ne me faites que souffrir un peu plus. Que l’on ne me secoue pas, c’est si douloureux. Je ne peux pas ne pas vous faire ce mal qu’est la connaissance de mon mal, si vous me forcez à vous le dire. Je ne pourrai plus jamais vous dire que tout va bien, et il n’est pas en votre pouvoir de réparer ce qui a été fait, de toute votre bonne volonté. Il n’y aurait pas de retour en arrière. Je ne peux pas ne pas avoir vécu ce que j’ai vécu.
Je ne peux que le taire.
Apportez-moi, amis, pour seul présent, de la gaieté.