vendredi 27 novembre 2009

16.

D'abord il y eut le blond, Le rêveur, c'était en un autre lieu, j'habitais seule avec lui une chambre si petite, son étui seul prenait près d'un quart de la place disponible, je le déplaçais sans cesse pour déplier le lit, mettre la table, ranger des vêtements, mettre des chaussures. Une jolie voix lointaine, comme d'une jeune fille pâle aux yeux languissants. J'y passais des heures à apprivoiser les sons. Puis il fallut le rendre. Des adieux déchirants : comme on s'attache !
C'est un mois plus tard que je reçus Le Rouge. Sublime, haut en couleurs, d'une beauté altière et pleine comme une femme de trente ans, et cela le décrit à l'oeil comme à l'oreille. Voix ronde et longuement vibrante, chaleur du vernis. Lui n'avait pas de nom.
Alors je l'ai appelé Le Rouge, car c'est sa belle couleur, et en hommage à Rackham Le Rouge.
Vacarme Le Rouge. Alors que le plus puissant des luths, finalement, fait si peu de bruit - à peine plus que pour l'oreille de qui le tient serré contre lui.

mardi 24 novembre 2009

15.

Je joue du luth. A nouveau, après plus de dix mois de silence.
Une courte cicatrice sur mon poignet droit, dix mois résumés sur un centimètre et demi.
Hier je l'ai ressorti pour la première fois de son petit cercueil noir. Vingt-quatre cordes silencieuses le temps que mes tendons veuillent bien cesser de hurler.
Un peu de crainte. Qu'il soit devenu comme ces solitaires qui perdent l'usage de leur voix. Elle devient grêle, sèche, fragile, grinçante, inhospitalière.
Mais avant même de l'accorder, un simple effleurement ouvre déjà des mondes. Mon luth, à peine le touche-t-on, résonne comme un caveau, comme une porte d'église, comme l'univers étoilé sous sa table d'harmonie.