mercredi 21 octobre 2009

Galerie des mirages

Nous étions assis à cette table et le jour tombait. Les lumières dorées, les velours, les thés précieux, le bois sombre, rien n'était si chaleureux que la voix dont vous m'entreteniez cet après-midi là. Sa gravité, sa douceur, votre bienveillance et l'enjouement avec lequel vous m'amusiez, mélancolique, recouvraient toutes mes perceptions, ne laissant vaguement affleurer que ce contraste - les tons chauds de l'intérieur, la transparence des verrières sur la galerie glacée. J'étais si profondément absorbée dans votre présence que parfois le sens de vos phrases m'échappait. Vous me conseilliez le chocolat chaud. Vous étiez aimable, prévenant, généreux. Je m'hypnotisais de cet accord entre vous et vos lieux. Les vernis patinés, l'exquise architecture, le confort raffiné, les bruits discrets. Je n'osais presque rien dire, j'aurais eu tant à vous confier. Vous étiez ma peine et ma consolation. Mes sentiments pour vous, je les laissais s'éteindre sans bruit, comme meurent les braises, m'y réchauffant doucement dans cette lumière aux tons de miel. Par bonté vous vouliez bien n'en rien voir, et n'en avoir rien vu. Peu de musique, du thé, et puis un autre thé. Je suis assise à une autre table et de là je regarde aujourd'hui l'endroit où nous nous tenions alors. La salle m'avait paru plus grande, j'étais transie de froid. Chaque année les premiers brouillards me rappellent ce long après-midi d'automne et je vous écris.
Mais soudain un rien, un manque - la bizarre consonnance d'un nom, l'angle particulier d'une entrée - éclaire d'un jour brusque ma mémoire embrumée, dissipant l'illusion. C'était une autre galerie, un autre salon de thé, sous d'autres luminaires. Ce lieu que, du fond d'un souvenir engourdi, j'aurais eu tant de mal à reconnaître se dérobe à nouveau à mes sens ; ce thé que nous avons pris ensemble persiste quelque part, ailleurs, hors de ma vue, et retrouver le lieu pourra seul me confirmer que nous n'y sommes plus.