vendredi 20 juillet 2012

Dans le silence des autres (2/2)

Pourtant, j'ai bien souhaité jouer du luth. ça été, au moins un moment, une envie, une réelle envie. Comment puis-je à la fois avoir et ne pas avoir envie de jouer du luth ?

Si j'interroge cette envie, je trouve, non une envie de jouer l'instrument, mais une envie intellectuelle, tournée vers l'image du luthiste : je voulais être celui qui touche cet instrument et en tire de si beaux sons. Je voulais la place. Mon envie de luth révèle la nature triangulaire du désir : je ne désirais jouer de la musique que parce que j'aurais voulu être celui qui désire jouer de la musique (j'aurais voulu être toi, par exemple).

Mais pourquoi vouloir être le joueur de luth ? A cet endroit le désir n'est plus seulement triangulaire, mais souterrain. Pourquoi vouloir être celui qui joue du luth ? Qu'est-ce que cette figure a de si attirant ? Toi, par exemple, à aucun prix je ne voudrais être toi - sauf pour la musique ! L'un des sommets du triangle plonge ses racines dans de bien sombres profondeurs. Car qui a désiré me voir en musicienne ? Etait-ce mon envie, ou quelque chose que l'on a désiré pour moi ? En désirant être celle qui jouerait du luth, n'ai-je pas simplement désiré être celle que l'on voulait que je sois ? Et pourquoi vouloir voir en moi une musicienne ? Ces questions se perdent dans l'obscurité.

J'étais peut-être bonne musicienne. Mais sans envie, je ne serai jamais une musicienne.

Ainsi en triant, de mes envies, celles qui sont miennes, j'atteins enfin quelque chose d'authentique. C'est profondément reposant.

Et le luth ? Tout cela est bien trop embrouillé. Certains noeuds ne se pourront jamais défaire. Laissons le luth à ceux qui désirent - le luth, non être luthiste.

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