dimanche 2 septembre 2012

33.

Mon luth est parti ce matin, un dimanche, sombre et maladroit dans les rues blanches de silence.

Il n'allait pas vite. La marche n'a jamais trop été son fort.

La source de toute lumière et de toute émotion luisait cachée dans ce lourd pardessus noir, informe, à la démarche cahotante.

Aux fenêtres, tous les volets étaient encore clos. Aucune voiture de passage.

Personne ne m'a vu partir.

samedi 21 juillet 2012

Le luth vide

En commençant ce blog, je pensais qu'il ressemblerait à tout autre chose.

Je pensais qu'il serait fait de billets courts, souriants, un peu maladroits, anecdotes naïves et concrètes sur les tribulations de l'apprentissage d'un instrument difficile, mais fascinant. Je pensais qu'il prêterait à sourire. Candide au pays du luth, je voulais apprivoiser l'instrument en lui donnant un ton plus humain, voire humoristique. Rendre au luth toute sa rondeur. Briser la distance froide que crée la fascination.

Mais la tragédie gagne le luth à la course.

A la première génération, il y eut quatre filles, aucun garçon. Une mourut enfant, les autres firent le malheur de
La seconde génération, celle de ma mère, à la voix brisée, désarticulée, inquiétante à l'image de son corps perdu.
A la troisième génération, j'essaye de tenir les morceaux ensemble. Il me faut tout contrôler, sinon je me pends.

Nulle place pour le luth, instrument aquatique, ondoyant, demandant le lâcher-prise.

Le luth se détache, bulle creuse, et je souhaite qu'il en soit ainsi de mon ventre. Que le luth absent, muet, me rappelle de ne jamais avoir d'enfants. A défaut de la mélodie, que se rompe la transmission. Il faut bien qu'à un moment tout cela s'arrête - la douleur, tourner autour du vide.

Et c'est maintenant.

vendredi 20 juillet 2012

Dans le silence des autres (2/2)

Pourtant, j'ai bien souhaité jouer du luth. ça été, au moins un moment, une envie, une réelle envie. Comment puis-je à la fois avoir et ne pas avoir envie de jouer du luth ?

Si j'interroge cette envie, je trouve, non une envie de jouer l'instrument, mais une envie intellectuelle, tournée vers l'image du luthiste : je voulais être celui qui touche cet instrument et en tire de si beaux sons. Je voulais la place. Mon envie de luth révèle la nature triangulaire du désir : je ne désirais jouer de la musique que parce que j'aurais voulu être celui qui désire jouer de la musique (j'aurais voulu être toi, par exemple).

Mais pourquoi vouloir être le joueur de luth ? A cet endroit le désir n'est plus seulement triangulaire, mais souterrain. Pourquoi vouloir être celui qui joue du luth ? Qu'est-ce que cette figure a de si attirant ? Toi, par exemple, à aucun prix je ne voudrais être toi - sauf pour la musique ! L'un des sommets du triangle plonge ses racines dans de bien sombres profondeurs. Car qui a désiré me voir en musicienne ? Etait-ce mon envie, ou quelque chose que l'on a désiré pour moi ? En désirant être celle qui jouerait du luth, n'ai-je pas simplement désiré être celle que l'on voulait que je sois ? Et pourquoi vouloir voir en moi une musicienne ? Ces questions se perdent dans l'obscurité.

J'étais peut-être bonne musicienne. Mais sans envie, je ne serai jamais une musicienne.

Ainsi en triant, de mes envies, celles qui sont miennes, j'atteins enfin quelque chose d'authentique. C'est profondément reposant.

Et le luth ? Tout cela est bien trop embrouillé. Certains noeuds ne se pourront jamais défaire. Laissons le luth à ceux qui désirent - le luth, non être luthiste.

jeudi 3 mai 2012

Dans le silence des autres (1/2)

Je vais vendre mon luth.

A un autre, une autre je confierai le soin de lui faire dire de longs discours pleins d'éloquence. Le discours. L'articulation de la mélodie. Le discours articulé, lié, méticuleux, cherchant avec soin la signification exacte. Le luth est rhétorique classique. Pas de bavardage.

Lorsque j'ai envie de musique, j'ai envie d'entendre la musique. Pas de jouer. Si d'autres me donnent déjà des émotions, pourquoi vouloir à tout prix les reproduire ? Je me donne à votre musique.

Grands maîtres anciens, et vous inconnus du temps présent qui sans le savoir avez bâti mon cœur en cathédrales un soir dans un salon, et dont je tais le nom, pour respecter vos vies cachées.

Moi, lorsque je joue - je ne joue pas, je peine ; toute beauté étouffée derrière mes crampes, ma dure concentration, mes muscles endoloris. A peine une vibration parfois parvient à s'échapper de cet amas de pierre ; moins souvent encore puis-je la goûter. Cruel paradoxe, où si je dois faire naître une musique, c'est pour y être absente.

Chaque soir ou presque tu saisis ta guitare comme si elle t'était aussi nécessaire que l'eau, pour en verser des merveilles une demi-heure durant, et cela s'écoule si naturellement de toi, cette musique, c'est toi-même, elle parle ton langage. Près de toi je reste cachée, buvant ton monde.

Mais je parle le luth comme une langue étrangère - avec difficulté, et un accent raboteux.

Lorsque j'aime la musique, c'est toujours celle des autres. Leur musique est joie, tige, onde verte. La mienne est dur effort.

A un autre, à une autre je confierai le soin de rendre sa voix au luth.

mercredi 2 mai 2012

32.

Cette partition ouverte qui, de près, se montre veloutée de poussière.

Promesse de musique qui respire le silence.

Jadis je craignais souvent d'écraser mon luth - une chute, un faux-pas - et songeais que le bruit d'un luth qui se brise doit être le son le plus triste du monde.

Mais non : le son le plus triste, c'est celui qui l'habite, à présent, chaque minute de chaque heure, cette nuit des voix à laquelle je le voue.

mardi 13 mars 2012

31.

Je ne sais si c'est fatigue qui me mine comme vers à bois, et je m'effondre intérieurement sur le premier sentiment venu.

Ou si, au contraire, c'est ce sentiment qui m'aspire de l'intérieur, creusant la fatigue.

Mais vous, tous, vous me manquez avec violence.

mercredi 29 février 2012

La souterraine

Un an qu'est mort ce petit chat tout rond.

Lui appartiennent toutes les fleurs du printemps précoce : crocus, primevère, myosotis, jonquille, jacynthe sauvage.

Un an ou presque que ses cendres blanchissent la surface de la terre de mon jardin, non loin de moi, à portée de la main.

C'est en fleurs et non en cendres que Persephone remonte des enfers hivernaux.

Il est temps de retourner la terre.